La mémoire de la traversée dans The Deep de Rivers Solomon : exploration et réinterprétation du traumatisme du Passage du milieu
Résumé
Dans son court roman afrofuturiste The Deep (Les Abysses dans la traduction française de Francis Guévremont), Rivers Solomon propose une mythologie fondée sur l’histoire et la mémoire de l’Atlantique noire. Solomon met en scène une civilisation des profondeurs océaniques, les Wajinrus, descendants aquatiques des fœtus des femmes enceintes jetées des navires négriers à l’époque du commerce triangulaire. Au sein de cette "Aqua-Afrotopie" (Jalondra Davis), l’historien est l’unique gardien de la mémoire de la traversée originelle et du trauma transgénérationnel qui en découle . Les violents souvenirs liés à la « rupture » que représente le Passage du milieu (Gilroy 197, 222), étape tout à la fois mortifère et, paradoxalement, source d’une vie nouvelle, sont toutefois partagés lors d’une cérémonie annuelle au cours de laquelle l’historien transmet aux autres Wajinrus « six cents ans de souffrance » (Solomon, Les Abysses 116). Le fardeau de cette « mémoire sensorielle » (163) collective, que l’historien ressent dans sa chair , devient trop lourd à porter pour l’historienne Yetu, qui cherche à échapper à un devoir qui la submerge littéralement , au risque de mener à l’oubli des Wajinrus.
Dans cette communication, j'étudie la façon dont Solomon interroge la fonction mnésique du récit : comment dire et garder en mémoire, individuellement et collectivement, le trauma du déracinement, de la traversée, et ses répercussions sur les générations suivantes ? Comment repeupler par le récit un lieu d’annihilation physique et d’effacement mémoriel comme le Passage du milieu ? Il s’agirait de montrer comment le récit, à un double niveau (celui de l’historien, qui par la répétition du rituel, fixe la mémoire collective, et celui de Solomon, qui fait appel à la mémoire de la culture africaine et diasporique pour remettre en question les discours dominants) devient un lieu de mémoire, en offrant un espace à un passé effacé par le suprémacisme blanc, mais aussi une alternative à une société occidentale dominée par la violence raciale (Bennett 178).