Le singulier coffret Building Stories de Chris Ware, publié en 2012, propose autour de son personnage principal, une femme porteuse de handicap, d’abord célibataire et fleuriste, puis mère au foyer dans la banlieue résidentielle de Chicago, un récit éclaté en fascicules de formats variés, sans ordre de lecture évident. À l’ampleur de l’ensemble, à l’unité qu’apporte ce personnage et à la lenteur de lecture – caractéristiques à la fois des expérimentations de Chris Ware et d’une tendance de la production contemporaine – répond un travail sur une variété de formats très courts empruntés à une tradition beaucoup plus ancienne de bande dessinée américaine (strip de quatre cases, Sunday page, etc.), travail qui multiplie les micro-récits du quotidien de façon fragmentaire. La représentation visuelle répétée, minutieuse et lente des tâches domestiques et des soins maternels suffit-elle à susciter pour le lecteur ou la lectrice la représentation d’états mentaux relatifs à ce travail ? Ces états mentaux prennent-ils mécaniquement la forme d’une charge ? Le concept de charge mentale est-il compatible d’une part avec des récits détachés de la situation de « double journée » (puisque le personnage principal n’occupe aucun emploi rémunéré), d’autre part avec l’esthétique du vide, minimaliste, qui caractérise Chris Ware ? Comment le dessin et la bande dessinée peuvent-ils représenter ce qui est souvent précisément décrit comme un travail invisible ou à un travail des émotions ? L'article s'intéresse plus particulièrement à la façon dont le dessin peut représenter visuellement le travail attentionnel et aux moyens qu’offre la séquentialité pour travailler l’expérience temporelle spécifique que questionne la notion de charge mentale à travers des procédés d’itération et de restriction du monde narratif.