L’afrofuturisme a été théorisé par Mark Dery en 1993 pour faire référence à la littérature science-fictionnelle écrite par des afro-américain.es et traitant de questions propres à l’identité noire américaine, à l’image des œuvres de Samuel R. Delany ou d’Octavia Butler. Si Mark Dery invente alors le terme « afrofuturisme », ce geste fondateur du mouvement s’inscrit dans le sillage de réflexions amorcées par Mark Sinker et Greg Tate à propos de musiciens qui, à partir des années 1950, mêlent identités afro-américaines et tropes issus de la science-fiction, à l’image de Sun Ra, George Clinton (Parliament-Funkadelic), ou encore du groupe de hip-hop Public Enemy. De l’examen de ces artistes naît l’idée que la musique afro-américaine dans son ensemble, de par sa capacité à se renouveler tout en brisant les codes préétablis, est intrinsèquement visionnaire et futuriste. Cette idée s’inscrit elle-même plus largement dans les théories du sociologue britannique Paul Gilroy qui théorise les identités noires comme un flux en perpétuel mouvement – à l’inverse d’une identité noire homogène et monolithique –, et dans le « signifying » théorisé par Henry Louis Gates sur la manière dont les arts afro-américains se jouent des codes et se renouvellent à travers la répétition et la variation. En 2024, trente ans après la publication de « Black to the Future » au sein de l’ouvrage Flame Wars édité par Mark Dery, l’afrofuturisme est désormais institutionalisé en tant que sujet de recherche à part entière, et le terme et les œuvres artistiques qui y sont associées se sont fait une place au sein d’ouvrages encyclopédiques et académiques de science-fiction, et de littérature (afro)américaine. Les recherches et discussions générées par le mouvement ont augmenté de manière exponentielle depuis la seconde moitié des années 2010, et cherchent à établir des filiations toujours plus vastes dans l’espace (en témoignent les mouvements tels que les « African/futurism/s », et plus récemment l’étiquette « CoFuturisms » regroupant différents continents), mais aussi dans le temps. Des œuvres telles que le roman Blake, or the Huts of America de Martin Delany (1859-1861), la nouvelle « The Comet » de W.E.B. Du Bois (1920), ou le roman Black No More de George Schuyler (1931) – dont certaines ont été rééditées en partie au sein de la série des Dark Matter éditées par Sheree R. Thomas – ont été citées pour argumenter que l’afrofuturisme est né indépendamment de la science-fiction, pour ensuite y être intégré comme sous-genre. Si les œuvres citées ci-dessus se positionnent aisément dans un cadre science-fictionnel ou spéculatif, d’autres classiques de la littérature afro-américaine comme Native Son de Richard Wright ou encore Invisible Man de Ralph Ellison sont elles aussi fréquemment citées comme des œuvres « proto-afrofuturistes ». Se réapproprier ces œuvres positionne l’afrofuturisme dans le sillage du canon littéraire afro-américain désormais classique et contribue ainsi à ancrer et légitimer le mouvement, mais une telle démarche ne manque pas de poser la question des contours de l’afrofuturisme, de son commencement, et de ses fins. Cette communication propose de retracer la constitution de l’afrofuturisme en tant que mouvement artistique et sujet de recherche à la lumière de théories relevant de la sociologie des arts et de l’histoire littéraire dans le but de proposer une esquisse de l’historiographie du mouvement de sa « fondation » en 1993 jusqu’à nos jours, et d’en dégager les principaux concepts et enjeux.